La Voix sur IP : un nouveau challenge pour les opérateurs mobiles ?

Puisque le Wi-Fi cherche à vamper le mobile, on peut légitimement se demander si ce jeu de séduction va réussir au point de remettre en cause la stratégie des opérateurs mobiles.
En d'autres termes, la disponibilité prochaine (vraisemblablement mi-2005) de terminaux bi-mode qui permettent à l'utilisateur d'établir deux types de communications : une communication Wi-Fi et une communication GSM , soulève deux questions récurrentes :
* des offres de la part d'acteurs non opérateurs mobiles constituent-ils une menace pour ces derniers ?
* si oui quels sont les acteurs susceptibles de les commercialiser de telles offres ?

L'article d'Emmannuel Paquette dans les Echos apporte un certain nombre de réponses. Explorons le périmètre possible de ces offres, un scenario envisageable et ses freins.

Tout d'abord le périmètre :
Les HotSpots publics sont protégés à 90% par un système de cryptage (car payants) et le marché est très morcelé, donc difficile de lancer une offre de voix sur IP qui pré-suppose une connexion facile avec ces HotSpots. Seul Orange avec ses milliers de HotSpots pourrait proposer de la Voix sur IP sur HotSpots, mais quel intérêt pour elle?
Reste donc le marché des communications passées au foyer et au bureau.
Or peu de foyers sont équipés en Wi-Fi, même si les principaux Fournisseurs d'Accès Internet (FAI) proposent à leurs abonnés ADSL des set-up box intégrant du Wi-Fi (la FreeBoxV4, la LiveBox de France Telecom, la 9box). La France a un peu de retard sur les US (40% des foyers équipés en Wi-Fi ai-je lu).
En Entreprise, le taux de couverture Wi-Fi est presque nul. Là encore important retard par rapport aux US.

Le scénario envisageable :
D'un coté, le secteur des mobiles se porte plutot bien : presque +10% d'abonnés en plus en 2004 et un revenu par abonné (ARPU) qui ne fléchit pas. De l'autre, celui des FAI qui détruisent de la valeur dans leur course à l'acquisition des abonnés et doivent trouver des actionnaires patients et compréhensifs.
On peut donc supposer que les FAI lorgnent sur le revenu des opérateurs mobiles. Ce que Tele2 fait depuis longtemps puisqu'il a tout tenté depuis 3 ans pour devenir MVNO. Le terminal bi-mode pourrait bien servir de cheval de Troie avec ce que j'appelle le double effet Kiss-Cool :

Acte 1 : les FAI propose à leurs abonnés ADSL un terminal mobile dé-simloqué leur permettant

a) à domicile : de téléphoner en VoIP via Wi-Fi gratuitement entre abonnés du même FAI (appels on-net) ou vers des lignes fixes. C'est l'extension de l'offre de VoIP proposée par Free, Tele2, AOL, 9Telecom et FT qui utilise des numéros commencant par 087 (sauf pour 9Telecom qui utilise des n° géographiques)
b) à l'extérieur : de téléphoner classiquement via son opérateur GSM

Le principal bénéfice pour l'abonné au FAI est de n'avoir besoin que d' un seul terminal mobile contenant en outre son carnet d'adresse.

Acte 2 : les FAI demandent l'accès aux opérateurs mobiles pour devenir MVNO Ce sera vraisemblablement possible vu la récente consultation de l'ART, si les opérateurs ne parviennent pas à bloquer le processus.

Les freins au déroulement du scénario nominal :

• La subvention du terminal

Les premiers terminaux seront chers (à partir de 250€ HT). Pour rendre l'offre attractive, le terminal devra être en dessous de 50€ TTC soit une subvention de plus de 200€ pour le FAI. Ca fait un peu cher pour acquérir un client dont le retour sur investissement n'est pas démontré et qui en outre peu churner au bout d'1 an en allant voir un autre FAI tout en conservant son terminal. Cependant, on peut supposer qu'à horizon 2 ans les constructeurs taiwannais, Chinois et Coréens produisent des terminaux presqu'aussi évolués que les terminaux GSM pour un coût modique. Et si le critère du client est le coût des communication et non les raffinements 3G, il se peut qu'il souscrive à l'offre FAI. Par ailleurs, si Free est capable d'inclure une FreeBox gratuite dans son offre, pourquoi ne pourrait il pas proposer un terminal mobile ?

• la distribution du terminal

Aujourd'hui, les FAI (à part Noos) n'ont pas de réseau de boutique permettant aux abonnés de voir les produits. Il est possible que les clients, échaudés par des services clientèles difficilement joignable et peu efficaces car low-cost, ne fassent pas confiance à l'offre mobile des FAI.

• la joignabilité

Dans la journée vous êtes joignable sur votre numéro mobile (06ABPQMCDU, enfin commençant par un 06...).
Supposez que vous soyez rentré chez vous et que votre mobile soit connecté à votre borne Wi-Fi. Si vous souhaitez être joignable sur le même 06ABPQMCDU, il faut que le terminal puisse gérer simultanément les deux réseaux, ce qui me semble loin d'être évident. Si ce n'est le cas, votre appel sera rerouté vers votre messagerie où vous aurez laissé la consigne de vous appeler vers le 08ABPQMCDU attribué par votre FAI. Pas très pratique…
C'est pourquoi le principaux constructeurs ont récemment créé le consortium "Unlicenced Mobile Acess" (UMA) pour spécifier les terminaux et équipements à installer chez l'opérateur mobile afin qu'il propose un service de roaming entre les HotSpots domestiques et leur réseau GSM et garantir ainsi une véritable continuité de service (vous êtes toujours joignable sur votre n° mobile 06ABPQMCDU quelque soit le moyen d'accès). En plus la borne d'accès est vue par le réseau mobile comme une BTS: on peut donc vous localiser et garantir une qualité de service (appel non acheminé=>renvoi vers la messagerie)

• l'ergonomie et services :

Le grand public est maintenant habitué à utiliser des bijoux de technologie, compacts et légers, disposant d'écrans couleurs et  sonneries polyphonique. Il ne sera sans doute pas attiré par de gros terminaux genre Siemens B615 ou le premier terminal WAP Nokia 7110. Je serai vivement intéressé de manipuler à Cannes dans 15 jours, les premiers terminaux bi-mode. Ci contre le Motorola CN620

Coté services, les FAI seront ils en mesure de transmettre les SMS via Wi-Fi ? Pas sûr au début. En tous cas, la connexion à la borne Wi-Fi permettra à terme détablir une connexion haut débit, largement supérieure à l'UMTS, ce qui permettra de fournir des services vidéos de très bonne qualité (certain prendront leur pied dans leur bain en regardant leur clip favori en streaming ;-)). Donc un avantage au Wi-Fi si les killer-apps des services mobiles de demain nécessitent du haut débit.

Autre type d'acteurs possible : Skype

Skype cherche actuellement à passer des accords avec les constructeurs de terminaux pour que son logiciel soit intégré au terminal. Cela me fait un peu penser aux éditeurs de distribution Linux qui passent des accords avec les assembleurs de PC, avec la contrainte en plus : les constructeurs de mobiles risquent d'être dé-référencés par les opérateurs mobiles s'ils jouent à ce jeu. Skype va donc naturellement  se tourner vers des constructeurs asiatiques qui, désireux de défricher ce nouveau marché, proposeront des OS ouverts. Puis Skype risque d'attaquer les constructeurs et opérateurs sur un plan réglementaire en demandant l'ouverture des OS. Cela rique de prendre du temps...

Mon analyse:
Je pense que la banalisation des terminaux high-tech Wi-Fi-GSM aura raison de ces freins à moyen terme car ils seront accessibles à tous.
Les opérateurs mobiles sont aux aguets et cherchent leurs repères, même si je ne suis pas sûr qu'ils ne sous-estiment pas l'ampleur du sujet. Orange mise sur la transition vers la VisioPhonie et propose du Millénium voix à ses clients premium, faisant ainsi croire qu'une étape technologique est franchie et que la voix ne coute plus rien. (opération marketing habilement montée : personne n'ignore que les tarifs voix pour les petits forfaits ne vont pas baisser, voire légèrement augmenter afin de ne pas laisse trop de décallage entre les revenus des différents segments). Quelles autre stratégie possible ? Offrir des services de communications vraiment différentiants en conservant une longueur d'avance : une Messagerie Instantanée évoluée autour de la notion de présence, digne sucesseur du SMS, des services de paiement via mobile.
Et surtout la notion de services convergents (internet <-> mobile ), I-mode l'a bien compris avec le mail. Exemple parmi d'autres:

• un album photo que l'on alimente via mobile ou PC et que l'on retrouve sur son mobile
• une consultation de blogs mobiles (comprenant un lecteur de fils RSS)
• des alertes configurés depuis le PC (Rendez vous, météo ...)

En tout état de cause, même si les opérateurs mobiles ont des cartes importantes à jouer, et si le pire n'est jamais certain, un certain niveau de cannibalisation du GSM par le Wi-Fi me parait inéluctable; l'ARPU va s'en ressentir, les opérateurs vont contre-attaquer par des offres attractives ce qui va stimuler l'innovation et l'analyse des besoins et des usages du client.

Je me pose une question : le core-business des opérateurs mobiles n'est il pas en train de se déplacer de la couche "accès" (qui tend à perdre de la valeur à cause des obligations réglementaires et de la faible barrière à l'entrée du Wi-Fi) vers la couche "contrôle" (l'opérateur mobile permettant d'offrir, via la carte SIM, des services d'authentification et de sécurisation des transactions). Il y a une importante barrière à l'entrée de cette couche "contrôle" : la carte SIM, les équipements réseau, ce qui permettra aux opérateurs mobile de conserver un avantage concurrentiel et de conserver des parts de marché importantes, pour autant que la nécessité de l'authentification soit majeure et passée dans les moeurs.

Que de challenges pour les opérateurs mobiles !

Tags : VoIP Voix sur ip wifi MVNO

Comments

[Julien Boyreau]

Article très intéressant avec de nombreux points :
Tu analyses la VoIP uniquement à travers le spectre WiFi car c'est aujourd'hui la technologie Wireless la plus répandue : néanmoins les problèmes que tu poses aux cellcos se produiront DE TOUTE FACON un jour ou l'autre quand les réseaux WMAN (Wimax, Flarion, Beyond3G...) offriront un débit et surtout une latence acceptable dans les deux sens : la vraie révolution à attendre sera alors l'emergence de forfait data "flat fee" (Forfait X) sur lesquels les utilisateurs POURRONT faire du Skype sur leur communicator mobile upgradable.
De plus, l'usage du fixe VoIP détruit la notion de distance ou de temps ET impose une structure tariffaire des coms au FORFAIT, allant de 30 dollars chez Vonage, à 9 euros chez Neuf ou 0 euros pour free : le deuxième virage est la diffusion massive de ce genre de plan dans le mobile (Forfait Y); ainsi tu ne te soucies plus du réseau que tu utlises, de toute façon tu paies au forfait...deux conséquences à ce sujet : 1) se demander si Forfait X et forfait Y seront intégrés ensemble 2) la diffusion massive de l'illimité com mobile EST TRES HYPOTHETIQUE EN MODE CIRCUIT où les phénomènes de BabyPhone (parents restent connecté toute la soirée avec le mioche à la maison) handicapent le réseau. Ainsi la Voix en IP ne devient plus une contrainte MAIS une vraie chance SI elle est couplée à des Voice Activation intelligents.

Enfin, dernier point abordé fondamentale sur les subventions terminaux : DEUX MODELES s'affrontent : on subventionne un produit pour vendre des SERVICES (Opérateurs...) ou alors on subventionne un SERVICE pour vendre UN PRODUIT (ipod...). La lutte sera rude entre les deux modèles, car les deux solutions ont des supporters IT ou Telco (Le COO de Sun a écris une apologie du Client Léger récemment...)

[Bruno Forni]

Pour alimenter le débat....

1 - Une nouvelle étude de Strategy Analytics montre que la multiplication des hotzones offrant un accès Wifi à prix réduits (par certains opérateurs de téléphonie en compléments de leurs autres services) ou gratuits (chaînes commerciales, réseaux municipaux…) pourrait générer un manque à gagner de 12 milliards de dollars pour les opérateurs de mobiles aux US (Verizon, Cingular, SprintNextel…).

En termes plus comptables pour 2005 le revenu moyen par utilisateur (ARPU) diminuera entre $ 3,40 et $ 3,20 (par rapport aux valeurs prévues).

Le rapport entre l’ EBITDA (bénéfices avant impôts, frais financier et amortissements) et les revenus (pour le secteur d'activité de la téléphonie du mobile US)passera de 30,5 % à 30% en 2005 et à 26,5 % en 2008.

Les actionnaires des opérateurs de mobile ne vont pas apprécier….

http://municipalnet.typepad.com/municipalnet/2005/01/voix_sur_wifi_d.html

2 -Une étude récente montre qu’un tiers des appels des téléphones portables sont passés de la maison ou du bureau. Ce qui veut dire qu’une quantité considérable de minutes très coûteuses ne tombera pas dans l’escarcelle des opérateurs de téléphonie mobile si les consommateurs utilisent la connectivité Wifi pour transporter la voix.

Ils existent encore certains problèmes à régler comme le prix des téléphones Wifi ou leur consommation. Sur ce dernier point, plusieurs fabricants de puces Wifi annoncent une forte baisse de la consommation électrique de leur composants.

A moyen terme la question du roaming (passage d’un réseau à un autre) pourra être envisagée. Le GIE (Gang d’Intérêt Economique) WiFi Alliance a lancé un groupe de travail le WCC (WiFi/Cellular working group) en collaboration avec le consortium Unlicensed Mobile Access.

L’U.M.A est un consortium dont la mission est de définir comment le consommateur pourra “roamer” entre leur réseau cellulaire (2-3G) et leur réseau wireless maison ou bureau (pour les fréquences sans autorisation).

Une étude récente montre que dans les 5 prochaines années Wimax et les autres technologies sans fils hauts débits vont conquérir 40% du marché sans fils haut débits (notamment la 3G)

http://municipalnet.typepad.com/municipalnet/2004/12/wifi_et_tlphoni.html

Bien cordialement

[joao muamba]

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cordial

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