Je reviens sur une des pleinières les plus intéressantes de la semaine dernière à l'université d'été du MEDEF qui traitait d'un sujet complexe : la solidarité ou mourir : vers l'âge adulte du capitalisme.
La question, comme le souligne Nicolas Beytout est ambigue. Deux interprétations :
- le capitalisme lui-même est il condamné à mourir s'il ne favorise pas le développement de la solidarité ?
- la capitalisme n'offre t-il que deux seuls débouchés aux hommes : être solidaires ou être égoïstes, c'est à dire abandonner les plus défavorisés à la misère et à la mort.
Je pencherais personnellement pour la seconde interprétation.
Sept orateurs brillants ont pris successivement la parole pour tenter d'apporter des éléments de réponse à cette question, mais je dois dire qu'aucun, à mon avis, n'y a véritablement réussi.
Alfa Omar Konaré, ancien président du Mali, et actuel président de la Commission de l'Union africaine indique justement que la pauvreté est un danger pour la stabilité des états développés et que la solidarité est une condition indispensable du capitalisme. Il explique également que les règles du jeu dussent être élaborées conjointement entre pays aidés et aidants. Tout cela est vrai. Cependant, il n'indique pas les conditions dans lesquelles la solidarité pourrait être réellement efficace et profiter en retour aux pays aidants.
Shashi Tharoor, diplomate et écrivain indien, ancien secrétaire général adjoint à l'ONU, parle d'une l'ère nouvelle où la pauvreté pourrait reculer de façon significative en l'espace d'une génération, en prolongement des 25 dernières années au terme desquelles 100 millions de personnes ont pu échapper à la pauvreté extrême. L'avènement de cette ère ne va évidemment pas sans une forte volonté politique.
Dans un style flamboyant et lyrique, M. Tharoor, apporte un éclairage différent sur les notions de richesse et de pauvreté que nos sociétés modernes ont tendance à oublier.
- A quoi sert de survivre si ce n'est que pour manger du pain ?
- Vivre c'est rechercher du sens et il existe de nombreuses sociétés où la richesse réside dans leurs âme et non dans leur terres.
- Le soir, au coin du feu, quand les ombres s'allongent, les ainés racontent aux plus jeunes les histoires de leurs pays et de leurs héros; des récits qui ont fait ce qu'ils sont aujourd'hui.
- Le passé offre davantage de richesses que le présent et la culture est plus riche que la technologie.
Bref, il nous invite à oeuvrer pour un monde pour lequel nous puissions
"à la fois nourrir nos panses et nos âmes."
Michel Pebereau, président du Conseil d'administration de la BNP,voit le capitalisme comme une arme pour réduire la pauvreté et la solidarité entre nations pour faire face à un monde plat : protection de l'environnement, lutte contre le développement des guerres, relever le défi des ressources rares et rédulation du marché.
M.Pebereau est le seul intervenant à souligner le rôle nécessaire des entreprises dans la réalisation d'actes de solidarité. Selon lui, leur présence au coeur du développement de l'économie de marché au sein des pays en voie de développement, ainsi que l'abaissement des coûts de productions dues aux économies d'échelles leur permet de lutter contre la pauvreté. Il cite la pénétration de la téléphonie mobile comme élément concourrant au recul de la pauvreté... Je trouve personnellement qu'un autre exemple aurait plu être cité pour illustrer son propos car la téléphonie mobile ne constitue certainement pas une priorité pour des gens dont le revenu est inférieur à 1$ par jour.
Mais la condition préalable à la solidarité est la création de richesse; l'Europe et la France en particulier sont des champions de la solidarité avec en France un taux de prélèvements obligatoire de 44% qu'il espère voir diminuer, ce qui inciterait en outre le développement du mécénat privé.
Jean-Claude Casanova, économiste et ancien conseiller de Raymond Barre, membre de l'académie des sciences morales et politiques dresse, avec un humour décapant qui a fait hurler la salle de rire à plusieurs reprises, un tableau sans concessions et des rapports étroits entre solidarité et politique. Il nous invite à relire JJ Rousseau qu'il place à l'origine des idées de droite et Adam Smith, comme instigateur des idées de gauche.
En effet,
JJ Rousseau constate que la division du travail et le libre échange conduisent à la spécialisation des individus, donc à leur apauvrissement (je dois vérifier ce point), et donc à leur dépendance les uns des autres. Or pour le philosophe, cette situation n'est pas compatible avec sa vision du rôle de l'individu, à savoir être un producteur, un père de famille et un soldat. Il faut donc réduire le libre échange et créer des patries denses.
Adam Smith, à l'inverse, pense que le politique doit compenser l'apauvrissement individuel conséquent de la spécialisation par des programmes de solidarité. En ce sens , il est à l'origine de la pensée sociale de gauche.
Enfin, pour JC Casanova, les seuls bienfaiteurs de l'humanité sont les savant et les ingénieurs qui ont permis le développement de la production, ce qui a permis de décupler le revenu par tête en deux siècles, alors qu'il n'avait pas évolué de façon significative depuis deux millénaires. Je trouve cette assertion un peu excessive : si les savants ont pu inventer de nouvelles technique, c'est grâce à un contexte culturel ,artistique de libre pensée, insufflé par les penseurs et philosophes.
Si ce tel contexte favorable n'avait pas été présent, la terre serait peut être toujours plate !
Le développement des techniques et de la productivité, note JC Casanova, entraîne une inter-dépendance naturelle et nécessaire des nations, justifiée par le fait que le taux de croissance mondial est supérieur à la somme des taux de croissance nationale. En matière de solidarité, il faut donc rechercher l'équilibre entre ce qui est possible dans l'ordre économique et souhaitable sur le plan politique.
Enfin, Martin Hisch, Haut Commissaire aux solidarité actives contre la pauvreté et ancien président d'Emmaus France (qui ne blogue plus depuis mai dernier,sans doute en raison de sa nomination au gouvernement), insiste sur la complémentarité d'une solidarité publique avec DES solidarités actives et locales ("ce n'est pas au préfet d'aller secourir des personnes agées dans les chambres de bonnes, mais au voisin du 2°").
Son objectif d'abaissement de la pauvreté, fixé par N.Sarkozy, est le suivant :
abaisser en 5 ans d'1/3 le nombre de personnes dont les revenus sont inférieurs à 817€/mois, soit passer de 7 à Millions de personnes dans ce cas.
La méthode : inciter les plus démunis à travailler (et aux entreprises, je suppose, de les embaucher) moyennenant des mécanismes de compensation et de crédit d'impôts. Tout cela n'est pas très clair, je trouve; j'attends une méthode plus concrète qui inciterait les RMIstes à retrouver un emploi; beaucoup d'entre eux se contentent de la rente de solidarité et préfèrent l'inactivité à un delta (sans doute trop réduit) entre salaire net et RMI...
Pour conclure, même si je suis ressorti de cette pleinière emballé par la prestance des discours, je suis resté sur ma faim sur la réponse à la question initiale : "la solidarité ou mourir : vers l'âge adulte du capitalisme".
Comme le soulignait Nicolas Beytout, les Etats-Unis sont les champions du capitalisme; ils ne sont pas les premiers de loin à penser spontanément à la solidarité (le Plan Marschall était il un plan de solidarité ?)
quelles perspectives/incitations pour le capitalisme dans son rapport à la solidarité ?
Peut être des éléments de réponse dans les articles suivants :
Par ailleurs, aucun questionnement comment le Medef pourrait inciter les entreprises .Dommage. C'est précisément au moment des universités d'été que l'on pourrait se poser la question.
PS : Non cité : les interventions d'Augustin de Romanet de Beaune, DG de la Caisse des Dépôts et de Manuel Valls
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